— Restez en dessous de l'arbre à foudre, dis-je aux autres.
Nous nous répartissons les tâches. Finnick garde Beetee pendant qu'il examine l'arbre, Johanna va chercher de l'eau, Peeta ramasse des noix et je pars chasser dans les environs. Les rats arboricoles ne semblent pas craindre l'homme, si bien que j'en abats trois sans aucun mal. Le grondement de la vague de 10 heures m'indique l'heure, et je rejoins les autres pour préparer mes prises. Ensuite, je trace une ligne dans le sol à un mètre du champ de force en guise de rappel, et Peeta et moi nous installons devant pour faire griller des noix et des cubes de viande de rat. Beetee continue à s'affairer autour de l'arbre, à bricoler, à prendre des mesures. Une fois, il arrache un morceaud'écorce, nous rejoint et le jette contre le champ de force. Le morceau rebondit et retombe à nos pieds en rougeoyant. Il retrouve sa couleur d'origine en quelques instants. — Voilà, ça explique bien des choses, déclare Beetee. Je regarde Peeta et me mords la lèvre pour ne pas rire, car ça n'explique absolument rien pour personne en dehors de lui. C'est à peu près à ce moment-là que nous entendons les cliquètements dans le secteur voisin. Ça signifie qu'il est I 1 heures. Le bruit est beaucoup plus intense dans la jungle que la nuit dernière sur la plage. Tout le monde tend l'oreille. — Ce n'est pas un bruit mécanique; décide Beetee. — Je pencherais plutôt pour des insectes, dis-je. Des scarabées, peut-être. — Ou des bestioles avec des pinces, suggère Finnick. Le bruit s'amplifie, comme si nos messes basses avaient alerté sa source de la présence de chair fraîche à proximité. Quelle que soit cette source, je parie qu'elle pourrait nous ronger jusqu'à l'os en quelques secondes. — Ne traînons pas ici, dit Johanna. Il nous reste moins d'une heure avant que la foudre ne commence à tomber. Nous n'allons pas très loin, cependant. Nous nous contentons de rejoindre le même arbre dans le secteur de la pluie de sang. Nous mangeons sur le pouce, accroupis par terre, en attendant l'éclair qui donnera le signal de midi. À la demande de Beetee, je grimpe au-dessus de la voûte des feuilles dès que les cliquètements commencent à s'estomper. Quand l'éclair frappe, il est aveuglant, malgré le soleil éclatant. Il enveloppe l'arbre, le chauffe à blanc et lait crépiter l'air environnant. Je redescends raconter ce que j'ai vu à Beetee, qui semble se satislaire de mon rapport, même si mes propos sont loin d'être sientifiques.
Nous suivons un chemin sinueux pour regagner la plage de 10 heures. Le sable est lisse, mouillé, nettoyé par la vague récente. Beetee nous donne quartier libre pour l'après-midi pendant qu'il travaille avec son fil. Comme c'est son arme et que nous n'avons pas d'autre choix que de nous en remettre à lui, nous éprouvons la sensation étrange de quitter l'école de bonne heure. Au début, nous faisons la sieste à tour de rôle à l'orée de la jungle, mais, en fin d'après-midi, nous sommes tous réveillés et excités. Nous décidons, comme ce sera peut-être la dernière occasion que nous aurons, de nous offrir un festin de fruits de mer. Sous la direction de Finnick, nous péchons du poisson, ramassons des coquillages et plongeons même à la recherche d'huîtres. C'est la partie que je préfère, même si je ne suis pas vraiment une grande amatrice d'huîtres. Je n'en ai gduté qu'une fois, au Capitole, et j'ai trouvé ça trop gluant pour moi. Mais j'adore nager dans les profondeurs, j'ai l'impression de m'enfoncer dans un autre monde. L'eau est limpide ; des bancs de poissons multicolores et d'étranges fleurs marines décorent le fond sablonneux.
Johanna monte la garde pendant que Finnick, Peeta et moi nettoyons le produit de notre pêche. Peeta vient d'ouvrir une huître quand je l'entends s'esclaffer. — Hé, regardez-moi ça ! (Il brandit une perle brillante, parfaite, de la taille d'un petit pois.) Tu savais que si on applique une pression suffisante sur le charbon, il se transforme en perle ? demande-t-il à Finnick. — N'importe quoi, rétorque Finnick. Mais je souris, en me rappelant que c'est ainsi qu'Effie Trinket nous avait présentés aux gens du Capitole l'année dernière, alors que personne ne nous connaissait. Comme du charbon changé en perles par la valeur de notre existence. La beauté qui naît de la souffrance.Peeta va rincer la perle dans l'eau avant de me l'offrir. — Pour toi, me dit-il. Je la tiens au creux de ma paume, et j'examine sa surface iridescente au soleil. Oui, je vais la garder. Je vais la garder sur moi pour les quelques heures qui me restent à vivre. Ce sera l'ultime cadeau de Peeta. Le seul que je puisse accepter. Il me donnera peut-être de la force au tout dernier moment. — Merci, dis-je en refermant le poing dessus.J e fixe froidement les yeux bleus de celui qui est désormais mon pire ennemi, qui voudrait me garder en vie au prix de sa propre existence. Et je me promets de faire capoter son plan.Le rire s'éteint dans ces yeux qui me scrutent avec intensité. J'ai l'impression qu'ils lisent dans mes pensées. — Le coup du médaillon, ça a échoué, pas vrai ? me dit Peeta. (Même si Finnick est juste là. Même si tout le monde peut nous entendre.) Katniss ? — Non, ça a marché, dis-je. — Mais pas comme je l'aurais souhaité. Il détourne les yeux. Après cela, il ne regarde plus que les huîtres.
Nous sommes sur le point d'attaquer notre festin quand un parachute nous largue de quoi l'agrémenter. Un petit pot de sauce rouge épicée ainsi qu'une nouvelle fournée de petits pains du district Trois. Finnick, bien sûr, se met immédiatement à les compter.
Le poisson est délicieusement salé, les coquillages succulents. Même les huîtres sont un régal grâce à la sauce. Nous nous goinfrons jusqu'à ce que personne ne puisse plus rien avaler, et il y a encore des restes. Comme ils ne se garderont pas, nous les rejetons à l'eau pour éviter que les carrières ne viennent en profiter après notre départ. Personne ne se soucie des coquilles. La vague se chargera de les emporter.
Il ne nous reste plus qu'à attendre. Peeta et moi nous asseyons au bord de l'eau, main dans la main, sans un mot. Son petit discours de la nuit dernière ne m'a pas convaincue, et rien de ce que je pourrais dire ne le fera changer d'avis. Le temps des cadeaux est terminé. J'ai toujours sa perle, cependant, enveloppée dans le parachute à ma ceinture, avec le bec et la pommade. J'espère qu'on la renverra avec moi au district Douze. Je suis sûre que ma mère et Prim penseront à la rendre à Peeta avant mon enterrement.
26
L'hymne retentit, mais, ce soir, aucun visage ne s'affiche dans le ciel. Le public doit s'impatienter, réclamer du sang. Le piège de Beetee semble assez prometteur, néanmoins, pour que les Juges n'aient pas déclenché de nouvelles attaques. Peut-être sont-ils curieux de voir s'il va fonctionner.
Quand Finnick et moi jugeons qu'il est 9 heures, nous quittons notre campement jonché de coquilles vides, gagnons la plage de 12 heures et entamons en silence la montée jusqu'à l'arbre à foudre, éclairés par la lune. Nos estomacs repus ralentissent notre marche. Je commence à regretter ma dernière douzaine d'huîtres.
Beetee demande à Finnick de l'aider, tandis que les autres montent la garde. Avant même de s'intéresser à l'arbre, il déroule de nombreux mètres de fil et il ordonne à Finnick de le nouer à une branche morte. Puis tous deux se postent de part et d'autre de l'arbre et se repassent la bobine, poor enrouler le fil plusieurs fois autour du tronc. Au début, j'ai l'impression qu'ils procèdent au hasard, mais, petit à peut, je distingue un motif du côté de Beetee, une sorte de maillage complexe qui scintille sous la lune. Je me demande si le placement du fil fait vraiment une différence, ou si ce n'est que de la poudre aux yeux pour le public. la plupar des téléspectateurs ne doivent pas s'y connaître plus que moi en électricité.
Nous entendons déferler la vague alors qu'ils en terminent avec le tronc. Je ne saurais dire à quel moment précis elle se déclenche. Il doit y avoir une sorte de crue, puis la vague elle-même, puis le retrait des eaux. Mais, d'après le ciel, je dirais qu'il est aux alentours de 10 heures et demie.
C'est là que Beetee nous dévoile le reste de son plan. Comme nous sommes les plus rapides à nous mouvoir entre les arbres, il veut que Johanna et moi emportions la bobine à travers la jungle, en déroulant le fil derrière nous ; que nous regagnions la plage de 12 heures, et que nous jetions la bobine et ce qui reste de fil au fond de l'eau, en nous assurant bien qu'elle coule. Puis que nous courions nous mettre à l'abri dans la jungle. Si nous partons tout de suite, sans pefdre une seconde, nous devrions avoir le temps. — Je les accompagne pour les couvrir, déclare aussitôt Peeta. Après l'épisode de la perle, il est plus réticent que jamais à me quitter des yeux. — Tu es trop lent, objecte Beetee. En plus, j'ai besoin de toi ici. Katniss peut couvrir Johanna. Je regrette, mais nous n'avons pas le temps de discuter. Si les filles veulent avoir une chance de s'en sortir, elles doivent partir maintenant. Il tend la bobine à Johanna. Je n'aime pas ce plan. Comment puis-je protéger Peeta à distance ? Mais Beetee a raison. À cause de sa jambe, Peeta ne pourra jamais regagner la jungle à temps. Johanna et moi sommes les plus rapides, les plus agiles à travers les taillis. Je ne trouve pas d'autre solution. Et s'il y a quelqu'un à qui je fais confiance ici, en dehors de Peeta, c'est bien Beetee. — Ça ira, dis-je à Peeta. On jette la bobine dans l'eau et on vous rejoint. — Pas dans le secteur de la foudre, précise Beetee. Donnons-nous rendez-vous au grand arbre dans le secteur de 1 à 2 heures. Si vous êtes en retard, vous n'aurez qu'à nous retrouver dans le secteur suivant. N'essayez surtout pas de retourner sur la plage, par contre. Pas avant que j'aie pu estimer les dégâts. Je prends le visage de Peeta entre mes mains. — Ne t'en fais pas. On se voit à minuit. (Je l'embrasse, et avant qu'il puisse soulever une objection, je le lâche et me tourne vers Johanna.) Prête ? — Il faut bien, répond Johanna en haussant les épaules. (L'idée de faire équipe avec moi ne l'enchante pas plus que moi, c'est clair. Mais le plan de Beetee ne nous laisse pas le choix.) Tu me couvres, je déroule. On échangera plus tard. Sans plus de délibérations, nous entamons la descente en silence. Nous progressons assez vite : l'une s'occupe du fil tandis que l'autre surveille les environs. À mi-chemin de la plage, les premiers cliquètements d'insectes nous indiquent qu'il est 11 heures passées. — Activons un peu, suggère Johanna. Je tiens à mettre le plus de distance possible entre les eaux et moi avant que la foudre ne commence à tomber. Au cas où Volts se serait trompé dans ses calculs. — Je vais te relayer avec la bobine, dis-je. C'est plus pénible que de faire le guet, et ça lait un moment qu'elle s'en occupe. — Tiens, me dit Johanna en me passant le cylindre eu métal.
Nous avons toutes les deux la main dessus quanti il est traversé par une légère vibration. Soudain, le mince fil doré nous revient à la figure comme un ressort, en s'entortillant autour de nos poignets. Puis le bout tranché vient se tordre à nos pieds.Une brève seconde nous suffit pour comprendre la tournure que prennent les événements. Johanna et moi nous dévisageons. Aucune de nous deux n'a besoin de le dire. Quelqu'un a coupé le fil derrière nous. Et sera sur nous d'un moment à l'autre.
Alors que j'extrais ma main du fil pour la refermer sur l'empennage d'une flèche, le cylindre de métal s'écrase sur mon crâne. Quand je reprends mes esprits, je suis couchée sur le dos parmi les lianes, avec une douleur terrible à la tempe gauche. Il y a un problème avec mes yeux. Ma vision se brouille, je n'arrive pas à faire le point sur la lune double qui flotte dans le ciel devant moi. J'ai du mal à respirer, et je réalisé que Johanna est assise sur ma poitrine. Elle me cloue les épaules avec ses genoux. Je ressens une piqûre douloureuse à l'avant-bras gauche. J'essaie de me dégager d'une secousse, mais je suis encore trop faible. Johanna m'enfonce quelque chose dans le bras, sans doute la pointe de son couteau, qu'elle tourne et retourne dans les chairs. Après une atroce sensation d'arrachement, un liquide chaud me coule le long du poignet, jusque dans la paume. Johanna me plaque le bras contre le sol et me barbouille le visage de sang. — Reste tranquille ! me siffle-t-elle. Son poids me quitte, et me voilà seule. « Rester tranquille ? me dis-je. Pourquoi ? Que se passe-t-il ? » Je ferme les yeux, me coupe de l'absurde réalité pour essayer de comprendre ce qui m'arrive.La seule chose qui me vient, c'est l'image de Johanna en train de repousser Wiress sur la plage. « Reste tranquille, tu veux ? » Sauf qu'elle n'avait pas agressé Wiress. Pascomme ça. Je ne suis pas Wiress, de toute façon. Je ne suis pas cinglée. Les mots « Reste tranquille, tu veux ? » résonnent en boucle sous mon crâne.
Des pas s'approchent. Deux personnes, et qui ne font aucun effort pour être discrètes. — Elle a son compte, déclare la voix de Brutus. Amène-toi, Enobaria ! Les pas s'éloignent dans la nuit. Est-ce vrai ? J'oscille à la frontière de l'inconscience, à la recherche de la réponse. Ai-je vraiment mon compte ? Je ne suis pas en position de soutenir le contraire. En fait, j'ai bien du mal à aligner deux idées. Voilà au moins ce que je sais : Johanna m'a attaquée. Elle m'a assommée avec le cylindre. Elle m'a tailladé le bras, en occasionnant probablement des dégâts irréparables aux veines et aux artères, après quoi Brutus et Enobaria sont arrivés avant qu'elle puisse m'achever. L 'alliance est rompue. Finnick et Johanna ont dû s'entendre pour nous éliminer cette nuit. Je savais bien qu'il aurait fallu leur fausser compagnie ce matin. J'ignore dans quel camp se trouve Beetee. Mais la chasse est ouverte, avec Peeta et moi dans le rôle du gibier. « Peeta ! » Mes yeux s'ouvrent grand sous l'effet de la panique. Il m'attend tranquillement près de l'arbre, sans se douter de rien. Finnick l'a peut-être déjà tué. — Non, dis-je dans un souffle.
Le fil a été coupé par les carrières juste derrière nous. Finnick, Beetee et Peeta n'ont aucun moyen de savoir ce qui vient de se passer. Ils doivent sûrement se demander pourquoi le lil s'est détendu, ou même pourquoi il est revenu s'enrouler en boucles jusqu'à l'arbre. Ça ne pouvait quand même pas être un signal convenu d'avance ? Johanna a dû décidet toute seule de passer à l'action. De me tuer. D'échapper aux carrières. Puis de rameuter Finnick le plus vite possible. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je sais seulement que je dois rejoindre Peeta et le protéger. Je rassemble toute ma volonté, me redresse sur les fesses puis me relève tant bien que mal en m'accrochant à un arbre voisin. Heureusement que j'ai ce point d'appui, d'ailleurs, car la jungle n'arrête pas de tanguer. Sans avertissement, je me plie en deux et vomis mon festin de fruits de mer, en toussant et hoquetant jusqu'à ce qu'il ne reste plus le moindre soupçon d'huître dans mon organisme. Tremblante, luisante de sueur, je fais le point sur mon état.
Quand je soulève mon bras blessé, du sang me gicle à la figure et le monde se remet à tournoyer de manière inquiétante. Je ferme les yeux et me cramponne à l'arbre jusqu'à ce que les choses se stabilisent. Puis je gagne un tronc moussu, arrache quelques pans de mousse et, sans chercher davantage à examiner la plaie, m'en fais un bandage bien serré autour du bras. C'est mieux. Autant ne pas voir. Enfin, je porte lentement la main à ma tempe. Je sens une énorme bosse, mais pas de sang. À l'évidence, si j'ai reçu un choc à la tête, on dirait que je ne vais pas me vider de mon sang tout de suite. Pas par le crâne, en tout cas.
Après m'être essuyé les mains sur la mousse, j'empoigne mon arc d'une main tremblante. J'encoche une flèche. Et je m'engage dans la montée.
Peeta. Ma dernière volonté. Ma promesse. Le garder en vie. Je retrouve un peu le moral en réalisant qu'il ne peut pas être mort, puisque le canon n'a pas tonné. Johanna a peut-être agi seule, dans l'espoir de se rallier à Finnick après coup. Difficile de savoir ce qui se passe entre ces deux-là. Je repense à ce regard qu'il lui a jeté avant de prendre sa décision concernant le piège de Beetee. Il existe entre eux une alliance beaucoup plus profonde, basée sur des années d'amitié et de petits riens qui nous échappent. Donc, puisque Johanna m'a trahie, je ne peux plus me fier à Finnick.
Je parviens à cette conclusion quelques secondes à peine avant d'entendre quelqu'un dévaler la pente vers moi. Ni Peeta ni Beetee ne peuvent se déplacer aussi vite. Je me cache derrière un rideau de lianes, juste à temps. Finnick me dépasse au pas de charge, la peau marbrée de pommade, en bondissant comme un cerf à travers les sous-bois. Il arrive bientôt à l'endroit où je me suis fait attaquer, et découvre le sang. — Johanna ! Katniss ! appelle-t-il. Je reste immobile jusqu'à ce qu'il s'éloigne dans la direction empruntée par Johanna et les carrières.Je repars le plus vite possible sans que le monde se remette à tourner. Mon pouls cogne contre mes tempes. Les insectes, peut-être excités par l'odeur du sang, augmentent leur vacarme qui devient un grondement continu. Non, une minute. J'ai peut-être simplement les oreilles qui résonnent à la suite du coup. Impossible de savoir tant que les insectes ne se tairont pas. Mais quand le silence reviendra, la foudre se mettra à tomber. Je dois accélérer le pas. Il faut que je retrouve Peeta.
Un coup de canon me fige sur place. Quelqu'un vient de mourir. Avec tout le monde en train de battre la jungle, en armes et en proie à la panique, il peut s'agir de n'importe qui. Mais sa mort risque de donner le signal du carnage. Les autres tueront d'abord et s'interrogeront sur leurs motivations plus tard. Rassemblant mes forces, je m'élance au pas de course.
Je me prends les pieds dans un obstacle et m'étale par terre de tout mon long le sens quelque chose s'enrouler autoui de moi, m'emprisonna dans ses mailles, Un filet. Sans doute l'un des filets de Finnick, tendu à mon intention, tandis que lui doit se tenir tout près, le trident à la main. Je me débats un moment à l'aveuglette, avec pour seul résultat de m'emmêler davantage, puis un rayon de lune tombe sur ce qui m'emprisonne. Confuse, je lève le bras et découvre des rouleaux de fil doré. Ce n'est pas l'un des filets de Finnick, en fin de compte, mais le fil de Beetee. En remontant vers l'arbre à foudre, il s'est pris dans un tronc autour duquel il a formé un enchevêtrement de nœuds. Je me relève avec précaution, me dégage tant bien que mal puis repars à l'assaut de la colline.
Le point positif, c'est que je suis sur le bon chemin et que ma blessure à la tête ne m'a pas fait perdre le sens de l'orientation. Le point négatif, c'est que le fil me rappelle l'imminence de la foudre. Je continue à entendre les insectes, Mais ne dirait-on pas que leur vacarme s'estompe ?
Je cours en gardant le fil à un mètre à ma gauche, pour me guider, mais en évitant soigneusement de le toucher. Si les insectes se taisent et que le premier éclair s'abatte sur l'arbre, sa décharge fusera le long du fil et quiconque sera en contact avec lui se fera aussitôt électrocuter.
L'arbre apparaît devant moi, avec son tronc festonné d'or. Je ralentis, m'efforce de marcher sans faire de bruit, mais je peux déjà m'estimer heureuse de tenir debout. Je cherche un signe des autres. En vain. Il n'y a plus personne par ici. — Peeta ? Oh, Peeta ? j'appelle à voix basse. Un gémissement discret me répond et, en faisant volte-face, je découvre une silhouette étendue par terre. — Beetee ! Je cours m'agenouiller auprès de lui. Ce gémissement devait être involontaire. Il est inconscient, bien qu'il ne semble pas blessé à part une grosse entaille sous le creux du coude. Je ramasse une poignée de mousse à proximité et l'enveloppe maladroitement autour de la plaie tout en m'efforçant de le réveiller. — Beetee ! Beetee, que s'est-il passé ? Qui vous a fait ça ? Beetee ! Je le secoue sans me soucier de son état, mais que faire d'autre ? Il gémit de nouveau et s'efforce de me repousser d'une main faible. A ce moment, je remarque qu'il tient un couteau, celui de Peeta je crois, enroulé au bout d'une longueur de fil. Perplexe, je me relève et tire sur le fil, ce qui me confirme qu'il est bien attaché à l'arbre. Il me faut un moment pour me rappeler la section de fil plus courte que Beetee avait enroulée autour d'une branche et laissée par terre avant même de s'intéresser à l'arbre. Je croyais qu'il l'avait mise de côté pour s'en servir plus tard. Apparemment non, puisqu'il en reste bien vingt, vingt-cinq mètres au bas mot.
En plissant les yeux vers la crête de la colline, je me souviens que nous ne sommes qu'à quelques pas du champ de force. J'aperçois toujours ce carré flou révélateur, en l'air et sur ma droite, au même endroit que ce matin. Qu'est-il arrivé à Beetee ? Aurait-il essayé de planter son couteau dans le champ de force, comme l'a fait Peeta par accident ? Et pourquoi ce fil ? Etait-ce son plan de secours ? Renvoyer la foudre vers le champ de force, au cas où il ne réussirait pas à électrifier le plan d'eau ? Qu'est-ce que ça aurait pu donner ? Rien du tout ? Nous griller tous jusqu'au dernier ? Je suppose que le champ de force est principalement composé d'énergie, lui aussi. Celui du centre d'Entraînement était transparent. Celui-ci semble refléter la jungle. Mais je l'ai vu se troubler sous le couteau de Peeta ou quand je l'ai touché avec ma flèche, le monde réel se trouve juste derrière. Mes oreilles ne résonnent plus. C'étaient bien les insectes, finalement. Je le sais maintenant parce que leurs cliquètements s'estompent et que je n'entends bientôt plus que les bruits de la jungle. Beetee est hors course. Je ne peux ni le réveiller, ni le sauver. J'ignore ce qu'il essayait de faire avec son fil et son couteau, et il n'est pas en mesure de me l'expliquer. La mousse qui me couvre le bras est imbibée de sang et, ne nous leurrons pas, vu comment la tête me tourne, je vais probablement m'évanouir dans quelques minutes. Je dois m'éloigner de cet arbre et... — Katniss ! Katniss ! C'est la voix de Peeta, très loin. Aurait-il perdu la tête ? Il doit pourtant savoir que les autres sont à nos trousses.Je ne peux pas le protéger. Je ne suis pas en état de courir, ni d'aller loin, et je ne suis même pas certaine d'avoir la force de tendre mon arc. Je fais la seule chose possible pour détourner de lui nos adversaires : je me mets à hurler. — Peeta ! Peeta, je suis là ! Peeta ! Oui, ça devrait attirer vers moi tous ceux qui sont à portée de voix. Vers moi, ainsi que vers l'arbre à foudre qui va bientôt devenir une arme. — Par ici ! Je suis là ! Il n'y arrivera pas. Pas avec sa jambe, et surtout pas en pleine nuit. Il arrivera trop tard. — Peeta !
Ça marche. Je les entends venir à travers la jungle. Ils sont deux, qui font un raffut infernal. Mes genoux se dérobent sous moi, et je me laisse glisser par terre à côté de Beetee. Je lève mon arc, pointe la flèche. Si je parviens à les éliminer, Peeta survivra-t-il aux autres ? Enobaria et Finnick débouchent devant l'arbre à foudre. Ils ne me voient pas, assise au-dessus d'eux sur la pente, avec la pommade qui camoufle ma peau. Je vise la gorge d'Enobaria. Avec un peu de chance, si je la tue, Finnick plongera à couvert derrière l'arbre juste au moment où la foudre frappera. Ce qui va se produire d'une seconde à l'autre. On n'entend presque plus aucun insecte. Je peux les éliminer maintenant. Je peux les éliminer tous les deux. Un autre coup de canon retentit. — Katniss ! rugit la voix de Peeta.
Cette fois-ci, je ne lui réponds pas. Beetee respire encore à côté de moi. Lui et moi mourrons bientôt. Ainsi que Finnick et Enobaria. Peeta est toujours en vie. Il y a eu deux coups de canon. Brutus, Johanna, Chaff. Deux d'entre eux sont déjà morts. Ce qui ne laisse plus qu'un seul tribut face à Peeta. Je ne peux pas faire mieux. Un seul ennemi. «Ennemi, ennemi...» Ce mot réveille un souvenir récent. Me le ramène en mémoire. L'expression sur le visage d'Haymitch : « Katniss, quand tu seras dans l'arène... » Le froncement de sourcils, l'inquiétude. « Eh bien quoi ? » Ma propre voix qui se serre, sur la défensive. « N'oublie pas qui est l'ennemi, me dit Haymitch. C'est tout. » Le dernier conseil d'Haymitch. Pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de me le rappeler ? J'ai toujours su qui était l'ennemi. Qui nous affame, nous torture et nous oblige à nous entre-tuer dans l'arène. Qui va bientôt tuer tous ceux que j'aime. Je baisse mon arc. Je comprends ce qu'il voulait dire. Oui, je sais qui est l'ennemi. Et ce n'est pas Enobaria. Je vois le couteau de Beetee avec un regard nouveau. Mes mains tremblantes détachent le fil du manche, l'enroulen autour de ma flèche et le fixent juste au-dessus de l'empennage avec un nœud appris à l'entraînement.
Je me lève, face au champ de force, sans plus chercher à me cacher. Mon seul souci à présent et d’atteindre la cible de Beetee, celle ou il aurait planté son couteau s’il en avait eu la force. Je pointe ma flèche sur la zone révélatrice, le carré flou, le... comment avait-il appelé ça, ce jour-là ? Le défaut dans la cuirasse. Je lâche ma flèche, la vois toucher le but et disparaître, en dévidant le fil d'or derrière elle.
Mes cheveux se dressent sur mon crâne et la foudre s'abat sur l'arbre.
Un éclair blanc court le long du fil et, un bref instant, une lumière aveuglante embrase le dôme. Je vole en arrière comme une poupée désarticulée, paralysée, les yeux écarquillés, tandis qu'une pluie de fragments duveteux retombe sur moi. Peeta est trop loin. Je n'ai pas la force d'atteindre ma perle. Je cherche du regard une belle image à emporter avec moi.
Juste avant les premières explosions, je trouve une étoile.
27
Tout semble éclater au même moment. Le sol se soulève en geysers de terre et de débris végétaux. Les arbres s'enflamment d'un coup. Même le ciel s'emplit de fleurs lumineuses multicolores. Je ne comprends pas les raisons d'un tel bombardement, jusqu'à ce que je réalise que les Juges font tirer un feu d'artifice là-haut pendant que la vraie destruction se déroule au sol. Au cas où l'oblitération de l'arène et des derniers tributs ne serait pas assez spectaculaire. Ou peut-être pour illuminer notre fin sanglante.
Laisseront-ils des survivants ? Y aura-t-il un vainqueur aux soixante-quinzièmes Hunger Games ? Peut-être pas. Après tout, cette édition d'Expiation est là pour... Que disait le carton lu par le président Snow, déjà ?
«... rappeler aux rebelles que même les plus forts d'entre eux ne sauraient l'emporter sur le Capitole... »
Personne ne triomphera, pas même le meilleur d'entre nous. Peut-être était-il prévu depuis le début qu'il n'y aurait pas de vainqueur dans ces Jeux. À moins que mon dernier geste de rébellion n'ait forcé la décision.
«Désolée, Peeta, nie dis je. Désolée de ne pas t'avoit sauvé. » Le sauver, tu parles. J’ai gâché sa dernière chance de survie, oui, je l’ai condamné en détruisant le champ deforce. Peut-être que si nous avions tous joué le jeu selon les règles, on l'aurait laissé vivre.
L'hovercraft se matérialise au-dessus de moi sans prévenir. S'il y avait eu moins de bruit et qu'un geai moqueur soit perché dans les environs, la jungle se serait tue puis le cri de l'oiseau aurait annoncé l'apparition de l'appareil du Capitole. Mais je n'entends rien au milieu du bombardement.
La griffe de métal descend vers moi depuis la carlingue. Ses doigts glissent sous moi. Je voudrais hurler, m'enfuir, me débattre comme une furie, mais je reste figée, incapable de réagir. Je n'ai plus qu'un espoir : mourir avant de rejoindre les silhouettes indistinctes qui m'attendent là-haut. Ce n'est certainement pas pour m'attribuer la couronne qu'on m'épargne, mais pour rendre ma mort aussi lente et publique qtie possible.
Mes pires craintes se confirment quand je découvre que celui qui m'accueille dans l'hovercraft n'est autre que Plutarch Heavensbee, le Haut Juge. Quel fiasco ! Il s'est pourtant donné du mal pour ses Jeux splendides, avec cet incroyable plateau en horloge et son parterre de vainqueurs. On lui reprochera son échec, il le payera probablement de sa vie, mais, avant, il se sera chargé de me punir. Sa main descend vers moi, je crois d'abord qu'il a l'intention de me frapper. C'est pire. Avec le pouce et l'index, il me ferme les paupières, me condamnant à l'obscurité, une manière habile de me rendre vulnérable. Ils peuvent me faire ce qu'ils veulent à présent, sans que je ne voie rien venir.
Mon cœur bat si fort que le sang commence à ruisseler sous mon bandage en mousse détrempée. Mes idées s'embrouillent. Il n'est pas impossible que je me vide de mon sang avant qu'on puisse me soigner, après tout. J'adresse des remerciements silencieux à Johanna Mason pour l’excellente blessure qu'elle a su m'infliger. Puis je m’évanouis.
Quand je refais surface dans un état de semi-conscience, sur une table capitonnée. Je sens des tuyaux dans mon bras gauche. Ils essaient de me garder en vie, parceque si devais m'enfoncer tranquillement, discrètement, ce serait une sorte de victoire. Je reste incapable de bouger, d'ouvrir les yeux ou de lever la tête, Mais j’ai récupéré quelques sensations dans mon bras droit, Il repose en travers de mon corps comme une nageoire, non, moin vif que ça, disons comme un gourdin. Je n'ai pas de vraie ordination motrice, aucune preuve qu'il me reste des doigts. Je parviens tout de même à le balancer sur le côté pour m'arracher mes tuyaux. Une alarme retentit, Je tourne de l’œil.
En reprennant connaissance la fois suivante, je découvre qu’on m’a attaché les mains à la table et remis les tuyaux ; peux ouvrir les yeux et tourner légèrement la tête. Je me trouve dans une grande salle au plafond bas, lumière argentée. Deux rangées de lits se font faces. J’entends des personnes respirer tout autour, sans doute les autres vainqueurs. Directement devant moi, je vois Beetee lié à une bonne dizaine de machines. « Mais laisser nou crever ! » voudrais-je hurler. Je me cogne la tête en arrière contre la table et tout redevient noir à nouveau, Quend je me réveille enfin pour de bon, je ne suis plus entravée. Je lève la main. J'ai encore tous mes doigts, et ils m’obeissent parfaitement. Je me redresse en position assise, en m’accrochant à la table capitonnée jusqu'à ce que la salle cesse de tanguer. J’ai un gros bandage sur le bras gauche, mais un m’a ôte les tuyaux, qui pendent à côté de mon lit.
Je suis seule à l'exception de Beetee, toujours couché devant moi, alimenté par son armée de machines. Où sont passés les autres ? Peeta, Finnick, Enobaria et... et... il en reste encore un, non ? Johanna, Chaff ou Brutus, l'un d'entre eux était encore en vie au début du bombardement. Je suis sûre que le Capitole voudra faire un exemple de nous tous. Mais où les a-t-on emmenés ? Directement de l'hôpital à la prison ? — Peeta..., dis-je dans un souffle.
Je tenais tellement à le protéger. Je suis encore résolue à le faire, d'ailleurs. Puisque je n'ai pas réussi à le garder libre et en vie, je dois le retrouver, l'achever avant que le Capitole ne le fasse mourir par des moyens abominables. Je glisse mes jambes hors de la table et cherche une arme autour de moi. Sur un plateau près du lit de Beetee, je trouve quelques seringués dans un emballage en plastique stérile. Parfait. Il me suffira de lui injecter une bulle d'air dans une veine.
J'hésite à tuer Beetee. Si je fais ça, je suis sûre de déclencher une alarme et je me ferai prendre avant de parvenir jusqu'à Peeta. Je me promets de revenir m'occuper de lui plus tard, si j'en ai l'occasion.
Comme je suis pratiquement nue à l'exception d'une mince chemise de nuit, je glisse la seringue sous mon bandage. Il n'y a aucun garde à la porte. Je dois me trouver à plusieurs kilomètres de profondeur sous le centre d'Entraînement, ou peut-être dans une forteresse du Capitole, le genre d'endroit dont on ne s'échappe pas. Peu importe. Je n'essaie pas de m'échapper, je veux simplement finir mon travail.
J'emprunte un couloir étroit jusqu'à une porte en métal entrebâillée. Il y a du monde derrière. Je sors ma seringue et l'empoigne d'une main ferme. Collée contre le mur, j'écoute ce qui se dit de l'autre côté.
— Toutes les communications sont coupées avec le Sept, le Dix et le Douze. Mais le Onze a repris le contrôle des transports à présent, on peut donc espérer qu'ils parviendront à faire sortir un peu de nourriture.
Plutarch Heavensbee, je crois. Même si je n'ai discuté avec lui qu'une seule fois. Une voix rauque pose une question. — Non, je regrette. Je n'ai aucun moyen de te faire entrer dans le Quatre. Mais j'ai donné des instructions pour qu'on la récupère dès que possible. C'est le mieux que je puisse faire, Finnick. Finnick. J'ai du mal à trouver un sens à cette conversation, au simple fait qu'elle puisse avoir lieu entre Plutarch Heavensbee et Finnick. Est-il si cher au cœur du Capitole qu'on accepte de lui pardonner ses crimes ? Ou ignorait-il sincèrement les intentions de Beetee ? Il croasse autre chose. Une protestation désespérée. Ne sois pas stupide. Ce serait la pire des choses à faire. Tu la condamnerais à tous les coups. Tant que tu restes en vie, au moins, ils la garderont comme appât, dit-il Haymitch. Haymitch ! Je pousse brusquement la porte et pénètre en titubant dans la pièce. Haymitch, Plutarch et un Finnick visiblement bouleversé sont attablés devant un repas auquel personne n'a touché. Le soleil entre par les hublots, et j'aperçois une forêt en bas. Nous sommes en vol. — On a fini de s'assommer, chérie ? me lance Haymitch d'une voix agacée. Mais quand je trébuche, il se lève et m'attrape par les poignets pour m'empêcher de tomber. Il voit ce que je tiens la main. — Quoi, tu veux t’attaquer au Capitole, toute seule avec la petite seringue ? Tu vois, c’est pont ça qu on ne te laisse jamais élaborer les plans. (Je le dévisage sans comprendre.) Lâche ça.
Il accentue la pression sur mon poignet droit jusqu'à ce que mes doigts s'écartent malgré moi et laissent tomber la seringue. Il m'assoit sur une chaise à côté de Finnick. Plutarch pose devant moi un bol de bouillon. Un petit pain. Me glisse une cuillère. — Mange, m'encourage-t-il sur un ton beaucoup plus gentil que celui d'Haymitch. Ce dernier se rassoit en face de moi. — Katniss, je vais t'expliquer ce qui s'est passé. Ecoute-moi jusqu'au bout sans m'interrompre, d'accord ? J'acquiesce vaguement de la tête. Et voilà ce qu'il me raconte.Un plan pour nous faire sortir de l'arène avait été prévu dès l'annonce de l'Expiation. Les tributs des districts Trois, Quatre, Six, Sept, Huit et Onze en avaient tous plus ou moins connaissance. Depuis plusieurs années, Plutarch Heavensbee fait partie d'un groupe clandestin qui travaille à renverser le Capitole. C'est lui qui a glissé le fil parmi les armes. Beetee devait se charger de faire sauter le champ de force. Le pain que nous recevions dans l'arène était un code pour indiquer l'heure de notre sauvetage. Le district dont il provenait indiquait le jour. Trois. Le nombre de pains, l'heure. Vingt-quatre. L'hovercraft appartient au district Treize. Bonnie et Twill, les fugitives du Huit que j'ai rencontrées dans la forêt, ne se trompaient pas concernant son existence et ses capacités de défense. Nous sommes actuellement en route pour le district Treize. Pendant que la plupart des autres districts de Panem sont secoués par une rébellion sans précédent. Haymitch s'interrompt pour s'assurer que je comprends tout. À moins qu'il ait fini, tout simplement. Ça fait beaucoup à avaler d'un coup, ce plan complexe dans lequel je n'étais qu'un pion, tout comme je n'étais destinée à rester qu'un pion dans les Hunger Games. Je me suis fait manipuler, totalement à mon insu. Au moins, dans les Jeux, je savais à quoi m'en tenir.
Mes soi-disant amis n'ont pas fait preuve d'une grande franchise avec moi. — Et vous ne m'avez rien dit, je grogne d'une voix aussi rauque que celle de Finnick. — Ni toi ni Peeta ne deviez être au courant, intervient Plutarch. Nous ne pouvions pas courir ce risque. J'avais déjà suffisamment peur que tu mentionnes ma montre pendant les Jeux. (Il sort sa montre de sa poche et passe le pouce sur le verre, ce qui allume le geai moqueur.) Bien sûr, quand je te l'ai montrée, je voulais juste te donner une indication sur l'arène. Je croyais que tu serais un mentor. Ca devait être une première étape pour gagner ta confiance. J'étais loin de me douter que tu y retournerais en tant que tribut.
— Je ne comprends toujours pas pourquoi Peeta et moi ne devions pas être dans la confidence. — Parce que après l'explosion du champ de force vous seriez les premiers qu'ils tenteraient de capturer, et moins vous en saviez, mieux c'était, explique Haymitch. — Pourquoi, les premiers ? Dis-en en m'efforçant de suivre son raisonnement. — Pour la même raison que le reste d'entre nous avons accepté de mourir pour te garder en vie, répond Finnick. — Non, Johanna a essayé de me tuer. — Johanna t'a assommée pour t'arracher le mouchard que tu avais dans le bras et entraîner Brutus et Enobaria loin de loi, dit Haymitch. — Quoi ? (Ma lête me lail si mal. J’aimerais bien qu’ils arrêtent de tourner autour du pot.) Je ne sais pas de quoi vous... — Nous devions te sauver parce que tu es le geai moqueur, Katniss, dit Plutarch. Aussi longtemps que tu restes en vie, la révolution perdure.
L'oiseau, la broche, la chanson, les baies, la montre, le bretzel, la robe qui s'embrase. Je suis le geai moqueur. L'engeance qui a survécu malgré les plans du Capitole. Le symbole de la rébellion.
C'est ce que je soupçonnais dans la forêt, quand j'ai trouvé Twill et Bonnie. Même si je n'avais pas compris l'ampleur du phénomène. Cela dit, je n'étais pas censée comprendre. Je repense à Haymitch en train de ricaner quand je lui parlais de fuir le district Douze, d'organiser mon propre soulèvement, ou simplement de l'existence du district Treize. Subterfuges, tromperies que tout ça ! Et s'il a pu mentir aussi bien et depuis si longtemps sous son masque de sarcasmes et d'ivrognerie, sur quel autre sujet a-t-il pu me mentir ? Je sais. — Peeta, dis-je faiblement, le cœur serré.
— Les autres l'ont protégé parce que s'il mourait nous savions qu'il n'y aurait plus d'alliance qui tienne, explique Haymitch. Et nous ne pouvions pas courir le risque de te laisser sans protection.
Ses paroles restent neutres, son expression inchangée, mais il ne peut dissimuler l'ombre grise qui envahit son visage. — Où est-il ? fais-je d'une voix sifflante. — Le Capitole l'a embarqué, avec Johanna et Enobaria, avoue Haymitch. Et il a enfin la décence de baisser les yeux. Techniquement, je suis sans armes. Mais on ne devrait jamais sous-estimer les ravages que peuvent occasionner des ongles, surtout avec l'effet de surprise. Je bondis par-dessus la table et lacère le visage d'Haymitch, faisant couler le sang et lui griffant un œil. Puis nous nous crions tous les deux des insultes terribles, et Finnick essaie de me maîtriser, et je vois bien qu'Haymitch a toutes les peines du monde à se retenir de m'étrangler, mais je suis le geai moqueur. Je suis le geai moqueur, et c'est déjà assez difficile comme ça de me garder en vie.
D'autres viennent prêter main-forte à Finnick. On me couche sur la table, on m'immobilise, on m'attache les poignets, alors je me frappe la tête comme une folle contre le métal, encore et encore. Je sens une aiguille s'enfoncer clans mon bras. Ma tête me fait si mal que je cesse de me débattre et me contente de hurler à la mort, comme un animal, jusqu'à ce que je n'aie plus de voix.
L’injection me tranquillise sans m'endormir, et je me retrouve piégée dans une sorte d'hébétude nauséeuse pendant ce qui me paraît durer une éternité. On me rebranche à des tuyaux, on me tient des propos apaisants qui ne m'atteignent pas. Je ne pense qu'à Peeta, couché quelque part sur une table similaire, où on essaie de lui arracher des renseignements qu'il n'a pas.
— Katniss. Je suis désolé, Katniss. (La voix de Finnick me parvient du lit voisin et s'insinue dans mon esprit, Peut être parce que nous connaissons la même souffrance, lui et moi.) Je voulais retourner les chercher, Johanna et lui, mais je ne pouvais pas bouger.
Je ne réponds pas. Les bonnes intentions de Finnick Odair me laissent de marbre.
— Il court moins de risques que Johanna. Ils s'apercevront assez vite qu'il ne sait rien. Et ils ne le tueront pas s'ils croient pouvoit se servir de lui connue appât, déclare Finnick. — Comme appât ? dis-je en fixant le plafond. Comme ils se serviront d'Annie contre toi, Finnick ?
Je l'entends sangloter, mais je m'en fiche. Ils ne se donneront sans doute même pas la peine d'interroger cette pauvre femme qui a basculé dans la folie depuis des années, depuis ses propres Jeux. Il y a de bonnes chances que je suive le même chemin. Si ça se trouve, je suis déjà folle et personne n'a encore osé me le dire. Ça ne me surprendrait pas.
— Je voudrais qu'elle soit morte, dit-il. Je voudrais qu'ils soient tous morts, et nous aussi. Ce serait mieux.
Eh bien, je n'ai pas de bonne réponse à opposer à ça. Tout à l'heure encore, je me promenais avec une seringue à la main dans l'intention de tuer Peeta. Ai-je vraiment voulu sa mort ? Ce que je voudrais... ce que je voudrais vraiment, c'est le récupérer. Mais ça n'arrivera plus, maintenant. Même si les rebelles parviennent à renverser le Capitole, on peut être sûr que le dernier geste du président Snow consistera à lui faire trancher la gorge. Non. Peeta est perdu. La mort serait préférable pour lui.
Mais en a-t-il conscience, ou va-t-il lutter jusqu'au bout ? Il est fort, et c'est un excellent menteur. Croit-il avoir la moindre chance de s'en sortir ? A-t-il seulement l'intention d'essayer ? Après tout, il n'y comptait pas. Il avait déjà renoncé à la vie. S'il a appris mon évasion, peut-être même est-il heureux ? Satisfait d'avoir rempli sa mission ?
Je crois que je le déteste encore plus qu'Haymitch.
J'abandonne. Je cesse de parler, de réagir, de refuser eau et nourriture. Ils peuvent bien m'injecter ce qu'ils veulent dans le bras, il en faut plus que ça pour maintenir en vie quelqu'un qui a perdu toute volonté de vivre. Je me persuade même, contre toute raison, que si je meurs, Peeta sera peut-être relâché. Pas entièrement libéré, non, mais transformé en Muet, pour s'occuper des futurs tributs du district Douze. Et qu'il pourra peut-être imaginer un moyen de s'enfuir. Ma mort pourrait encore le sauver.
Et si ce n'est pas le cas, tant pis. Ma mort sera une satisfaction en soi. Haymitch sera bien embêté, lui qui, entre toutes les crapules de ce monde pourri, s'est servi de Peeta et de moi comme de pions dans ses Jeux. Je lui faisais confiance. J'avais remis entre ses mains tout ce qui comptait pour moi. Et il m'a trahie.
« Tu vois, c'est pour ça qu'on ne te laisse jamais élaborer les plans. »
Il a raison. Aucune personne censée ne voudrait me laisser participer à l'élaboration des plans. Je ne suis même pas fichue de faire la différence entre un ami et un ennemi.
Beaucoup de gens passent me voir, mais leurs paroles n'ont pas plus de signification pour moi que les cliquètements des insectes dans la jungle. Elles restent indistinctes, lointaines. Inoffensives tant qu'on ne s'en approche pas. Chaque fois que je me sens sur le point de les comprendre, je gémis un bon coup, on m'injecte une nouvelle dose de tranquillisants et le problème est réglé.
Une fois pourtant, j'ouvre les yeux et trouve à mon chevet quelqu'un que je n'ai pas envie d'occulter. Quelqu'un qui n'essaiera pas de me supplier, de m'expliquer ou de négocier avec moi, parce que lui seul sait vraiment comment je fonctionne. — Gale, dis-je dans un souffle. — Salut, Catnip.
Il tend la main pour écarter une mèche de cheveux qui me tombe dans les yeux. Une brûlure récente lui déforme un côté du visage. Il a un bras en écharpe, et je remarque des bandages sous sa chemise de mineur ? Que lui est-il arrivé ? Que fait-il ici ? Qu'a-t-il bien pu se passer chez nous ?
Ce n'est pas que j'oublie Peeta, mais, soudain, je me souviens des autres. Un seul regard sur Gale suffit à les faire affluer en réclamant leur part d'attention. — Prim ? dis-je. — Elle est en vie. Ta mère aussi. J'ai réussi à les faire sortir à temps. — Elles ne sont plus dans le district Douze ? — Après les Jeux, ils ont envoyé des avions larguer des bombes incendiaires. (Il hésite.) Tu sais ce qui est arrivé à la Plaque.
Je sais. J'ai vu sauter l'ancien entrepôt incrusté de poussière de charbon... Le district entier était noyé dans la suie. Un sentiment d'horreur me gagne à l'idée de bombes incendiaires s'abattant sur la Veine .— Elles ne sont plus dans le district Douze ? Comme si le fait de le dire pouvait tenir la vérité àdistance.
— Katniss..., commence Gale avec douceur.
Je reconnais cette voix. C'est celle qu'il prend pour s'approcher d'une bête blessée avant de lui asséner le coup de grâce. Je lève les mains d'instinct, pour parer ses mots. Il m'attrape les poignets et les serre. — Tais-toi, lui dis-je. Mais Gale n'est pas du genre à me faire des cachotteries. — Katniss, il n'y a plus de district Douze.